Atelier YouTube
Comprendre le métier d'influenceur.ceuse~ 50mn : Décryptage, extraits vidéo à l’appui
L’enjeu de ce décryptage est double : interroger les rouages opaques des rémunérations perçues par les YouTubeurs et YouTubeuses et démystifier la croyance assez répandue que YouTube est une plateforme sur laquelle il suffit de poster des vidéos de soi dans sa chambre sur un sujet quelconque pour toucher de gros revenus.
- Dissocier la manière dont YouTube d’un côté, et les YouTubeurs de l’autre, gagnent de l’argent.
- Différencier les différents types de ressources pour les YouTubeurs : revenus publicitaires, dons, « opé-spé » (opérations spéciales), financements participatifs…
- Démasquer le contenu publicitaire masqué/déguisé.
Temps 1 : ce qui se cache derrière les mots opé, partenariat et placement de produit
La première ressource est une vidéo du YouTubeur Tibo InShape, influenceur prolifique dont la communauté a dépassé les 8,5 millions d’abonnés sur YouTube et a cumulé plus de 3 milliards de vues (3,3 M d’abonnés sur Instagram). A ses débuts, la chaîne proposait exclusivement sur des exercices de musculation, des conseils diététiques et des défis sportifs. Tibo InShape a ensuite diversifié ses contenus et surfe dorénavant sur les tendances actuelles. Il a conservé malgré tout son hobby et sa personnalité.
La vidéo en question est un partenariat avec Ubisoft – qui développe et édite des jeux vidéo parmi lesquels Rayman, Assassin’s Creed et Just Dance – à l’occasion de la dernière création en de l’entreprise : un jeu de tir où l’on incarne… un commando des forces spéciales.
Un premier visionnage de l’introduction (1’30 – 2′ suffisent) permet de faire le point sur qui est Tibo, son contenu habituel, puis d’interroger l’objet de cette vidéo. C’est l’occasion de revenir sur les différentes terminologies : partenariat, placement de produit, contenu sponsorisé… La discussion se poursuit sur les motivations d’Ubisoft à choisir un YouTubeur pour faire la promotion de leur dernier jeu et plus spécifiquement, pourquoi CE YouTubeur alors qu’il n’est pas spécialiste du jeu vidéo ?
Ici, l’enjeu n’est pas d’inviter un.e YouTubeur.beuse à tester le jeu dans son canapé mais de participer à un entrainement militaire et une partie d’airsoft* : les « gamers » ne sont pas nécessairement la cible recherchée mais plutôt les amateurs de sport extrême/sensation forte qui ont l’habitude de trouver ce genre de contenus sur la chaîne Tibo Inshape. On peut insister sur la logique dans le choix de l’influenceur.ceuse en fonction de la marque et du produit à mettre en avant.
Dans cette vidéo, Tibo fait mention d’une « invitation » par Ubisoft, or il ne faut pas se leurrer, il s’agit d’un partenariat rémunéré comme l’indique le bandeau en bas à gauche « Inclut une communication commerciale », bandeau qui disparaît au bout de quelques secondes.
Il est intéressant de souligner le fait que cette mention est discrète et éphémère, pas toujours très claire à la première lecture et que le discours de Tibo d’une transparence toute relative. On peut alors interroger les jeunes sur leur réaction face à la « coupure pub » à la télévision. Presque à coup sûr on vous mimera le ras-le-bol et chacun évoquera sa stratégie d’évitement : « je change de chaîne », « je coupe le son », « je prends mon téléphone »… Et face à la publicité sur YouTube avant le lancement d’une vidéo, les réactions sont souvent les mêmes : « je clique sur « ignorer l’annonce » dès que je peux ! »
Bien que la réponse soit évidente, il est utile de poser la question : pourquoi le terme « publicité », puisque c’est de ça dont il s’agit, n’apparaît nulle part (titre ou description de la vidéo, propos de Tibo). Face à la pub, on râle, on zappe, ça ne fait donc pas cliquer. Or moins de clics c’est moins de vues donc moins d’argent et de visibilité.
Il est temps désormais de regarder un extrait d’une minute au cœur de la vidéo (début vers 3’35) pour s’attarder sur les choix de montage mettant en scène des extraits du jeu vidéo. Le parallèle entre les gestes du jeu vidéo et ceux effectués par Tibo lors de sa partie d’airsoft saute aux yeux. Ce qui diffère néanmoins, c’est l’ambiance que renvoie les deux types d’images. Alors que le jeu se déroule dans un environnement sombre, sérieux, souligné par une musique épique, Tibo fait le clown, plaisante, est pataud avec son matériel de guerre (factice).
Et c’est précisément cela qu’Ubisoft recherche : Tibo faisant du Tibo. L’idée là encore est de faire oublier le placement de produit. Le ton léger et les gags à répétition font passer un bon moment au spectateur qui va regarder très tranquillement plus de treize minutes de contenu publicitaire qui n’en a pas l’air. Le mélange divertissement-contenu sponsorisé est un hybride bien rôdé depuis quelques années sur YouTube. Qui n’est pas vigilant peut facilement se faire avoir.
Le but de ce décryptage n’est pas de diaboliser le contenu sponsorisé sur YouTube. Cette solution apparaît pour beaucoup de créateurs.trices de vidéos comme seule source de revenu rentable. En effet les revenus publicitaires YouTube sont extrêmement variables d’un mois à l’autre et la démonétisation d’une vidéo est vite arrivée (utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur, grossiereté-vulgarité, sujet sensible tel que la sexualité, infraction aux règles YouTube…)
Temps 2 : les YouTubeurs, amateurs ou professionnels ?
La seconde vidéo, du YouTubeur Squeezie cette fois, permet d’éclairer un aspect souvent méconnu du métier de YouTubeur, l’emploi de salariés pour des tâches spécifiques (montage, cadrage, prise son…). A l’annonce de la pause estivale de sa chaîne, le premier YouTubeur de France en nombre d’abonnés dresse un bilan des mois précédents et remercie à cette occasion les « travailleurs.euses de l’ombre » œuvrant avec/pour lui. L’extrait en question débute à 11’30 et y sont listées pas moins de sept personnes !
Il est intéressant de signifier que le lien alors entretenu entre Squeezie et ces sept personnes est professionnel, il est le patron d’une entreprise qui embauche de façon plus ou moins régulière des personnes pour leurs compétences. Avec son chiffre d’affaires, il doit donc assurer leur rémunération, en plus de la sienne ainsi que payer des taxes liées à son activité, sans oublier l’achat régulier de matériel.
Tout aussi signifiant, cela fait des années désormais que le YouTubeur aux 14 millions d’abonnés ne se filme plus dans sa chambre d’ado chez ses parents mais dans un studio qu’il loue à Webedia. Webedia qui est la maison-mère de l’entreprise Mixicom, régie publicitaire à laquelle sont associés quasiment tous les YouTubeurs.beuses du « Top 10 FR » en nombre d’abonnés.
A ses débuts, Squeezie comme beaucoup d’autres, postait des vidéos par plaisir, par passion et sans aucune compensation financière, or aujourd’hui, YouTubeur est son métier, sa source principale de revenus, avec toute la pression que comporte le caractère éphémère de ce job d’un nouveau genre.
S’il vous reste du temps, vous pouvez aborder la question des contraintes dans le cadre d’un partenariat entre une marque et un.e influenceur.ceuse : discours lissé sur le produit, la marque mis en avant, contenu contrôlé par le financeur, conditions imposées (temps d’exposition minimum du produit à l’écran, durée de vidéo, phrases à insérer dans le discours, publications sur les réseaux sociaux…). A ce sujet, Squeezie, encore lui, a déjà fait les frais de partenariats s’étant mal déroulés et démontre les limites d’une relation marque-influenceur.
En bref, assurer sa pérennité sur Youtube en tant que créateur de contenus divertissants c’est constamment trouver le moyen de contourner les règles de monétisation et visibilité que la plateforme changent régulièrement; c’est être soumis aux nouvelles tendances et surfer habilement dessus tout en gardant sa personnalité; c’est être contraint de faire des partenariats avec des marques qui ont bien saisi que pour toucher le public jeune il fallait passer par les réseaux sociaux.
YouTube est une jungle où le succès d’un Squeezie masque la précarité de milliers d’autres qui peinent à joindre les deux bouts, voire sont au bord du burn-out car obligés de travailler seuls 7/7.